05.05, 06.05, 08 — 15.05.2007
Michel François Bruxelles
La Ricarda (Appropriation temporaire) / Studio
installation — premiere
Vernissage, 4:05 > 18:30
Sur une invitation de Michel François, douze artistes ont occupé cet été la Casa Gomis, une maison située sur le domaine de La Ricarda à El Prat de Llobregat près de Barcelone. Construite dans les années 50 au milieu d'une forêt de pins, cette maison est aujourd'hui menacée, tant par la mer que par l'extension de l'aéroport et de la banlieue barcelonaise. Le projet s'articule autour de la réalisation d'un film commun, auquel chaque artiste contribue librement. Seul fil conducteur : l'unité de temps et d'espace. Plasticiens, chorégraphes, vidéastes et scénographes explorent les possibilités d'une œuvre où s'entrelacent les différentes approches esthétiques de chacun. Studio est une installation indépendante de la projection du film La Ricarda. Un objet-miroir disparaît sous les lumières intenses et éblouissantes de douze projecteurs. Écho d'autant de points de vue qui se croisent.Une carte blanche confiée à Michel François dans le cadre de Flowers à La Raffinerie.
Michel François, plasticien au carrefour de plusieurs disciplines — sculpture, vidéo, photographie —, s’est fait connaître par ses installations, terrains d’impressions composites où les objets, moins détournés de leurs fonctions premières que déplacés, viennent redéfinir les codes de la perception sensorielle dans des zones volontairement indécises : bureau augmenté, salon intermédiaire… Faisant se côtoyer des matériaux vivants ou inertes pour en explorer le potentiel de fiction, Michel François n’a eu de cesse de révéler à la compréhension et au regard l’autre face des œuvres plastiques. Renvoyés à leur état matériel, les objets exposés par le plasticien, tout en devenant plus concrets, apparaissent a contrario plus abstraits.
Sculpteur, il ôte quelque chose à la sculpture ou ajoute de l’espace alentour ; ce qui est compact tombe en pièces : la moquette perforée ; ce qui est positif devient négatif : l’ombre portée d’un projecteur. Photographe, il dédouble ou inverse les perspectives afin de diffracter les points de vues.
La démarche plastique de Michel François ne s’arrête toutefois pas à la production de l’œuvre ; elle se poursuit au-delà, par l’impact qu’exerce sur l’architecture de l’espace le corps « au travail » du visiteur dont les déplacements, et parfois les interventions concrètes, participent de la vie de l’installation.
De fait, fasciné par la possibilité de sonder ce qui se produit quand on présente au public un objet ou une image, Michel François fait du spectateur le sujet actif de son travail, organisant de véritables parcours où celui-ci mobilise plus que son regard : son corps tout entier s’investit dans des environnements où s’étalent, au sens plein du terme, tous les signes et modèles de ce qui habituellement fabrique et institue de la représentation : l’affiche, la chambre noire, l’espace muséal, le studio de télévision…
Il importe pour le plasticien de faire voir, en portraitiste des territoires urbains et médiatiques de la société occidentale, les artefacts autant que les rebuts du monde réel.
Ce redéploiement de l’œuvre plastique en direction de la topologie est pour beaucoup dans l’intérêt porté par Michel François à la maison de la famille Gomis, située sur le domaine de La Ricarda, à quelques kilomètres de Barcelone en Catalogne. Cette bâtisse moderniste, œuvre de l’architecte Antoni Bonnet, a la particularité d’avoir été construite dans les années cinquante sur un terrain boisé près de la mer, lieu autrefois isolé, qui s’est retrouvé progressivement coincé entre l’extension de la banlieue barcelonaise et les pistes de l’aéroport.
Cette propriété sophistiquée, avant de devenir inhabitable et d’être laissée à l’abandon, fut un important lieu de rencontres d’artistes aussi fameux que Tapiès, John Cage ou Miró. L’opportunité d’en faire à nouveau le cœur d’une expérience artistique collective a trouvé en Michel François, dont le goût pour les espaces précaires est connu, un propagateur motivé. En juillet 2006, il a donc invité 13 personnes — plasticiens, vidéastes, chorégraphes, scénographes et curateurs (Joerg Bader, Joël Benzakin, Lucia Bru, Jordi Colomer, François Curlet, Jos de Gruyter et Harald Thys, Pierre Droulers, Ann Veronica Janssens, Simon Siegmann, Loïc Vanderstichelen, Richard Venlet, Angel Vergara) — à s’emparer du lieu avec lui pour réaliser une séquence filmée, avec ou sans acteurs, dont les seuls paramètres communs seraient l’unité d’espace (La Ricarda) et de temps (l’été 2006). La finalité du projet était de produire un moyen métrage cosigné par tous, dont les fragments filmés de chacun fusionneraient grâce à la dynamique du montage.
Il en a résulté une surprenante appropriation temporaire des lieux, faite d’épisodes énigmatiques qui, mis bout à bout, s’enrichissent mutuellement. Les intervenants invités à La Ricarda pendant quelques semaines ont, à partir du cadre imposé — évoqué par des pièces aussi différentes que la salle de bain, les chambres, le salon ou encore le parc autour de La Ricarda —, filmé des scènes aux temporalités diffuses qui contrastent singulièrement avec les lignes très graphiques du bâtiment. Cette prise de possession des lieux, matière à improvisations et à sensations, s’est organisée selon que l’hôte a privilégié un détail ou au contraire une vision d’ensemble de la bâtisse. Filmée, traversée ou non par des personnages, La Ricarda forme la trame mouvante d’un récit aux entrées multiples. Laissé à l’appréciation d’un spectateur embarqué pour un voyage à la dérive, le lieu, vu comme à travers un prisme, se transforme dès lors en autant d’éclats sonores et visuels, parfois comiques, parfois absurdes, souvent inquiétants, qu’il y a de réalisateurs et d’univers en présence. De sorte qu’on ne sait plus si ce sont les réalisateurs qui se sont approprié les lieux ou bien si c’est La Ricarda, personnage à part entière, qui s’est approprié les réalisateurs pour finir.
Cette possible symétrie et ce renversement se retrouvent également dans l’installation que propose Michel François, seul cette fois-ci, à la Raffinerie, dans le cadre d’une carte blanche qui lui a été confiée pour la présentation de Flowers du chorégraphe Pierre Droulers.
Studio est un dispositif qui met en scène une douzaine de projecteurs autour d’un cyclo, accessoire technique utilisé par les photographes professionnels pour annuler les ombres autour des objets à photographier. Ce panneau est ici un miroir à la surface ondulée, réfléchissant les lumières des douze projecteurs. Un éclairage qui paradoxalement n’en est plus un, l’objet éclairé disparaissant complètement sous le feu des projecteurs.
Michel François expérimente à nouveau la possibilité d’une mise en abyme de la notion d’exposition, et place la représentation du côté de l’illusion. Le spectateur ne voit plus rien, l’objet qui devrait permettre de mieux voir disparaît, le spectacle figuré ici par cette scénographie d’instruments techniques ne renvoie plus qu’à un vide que seul pourrait combler l’imaginaire du spectateur. Michel François dit d’ailleurs de ce dispositif, que complète une pile de mille exemplaires à distribuer d’une affiche noir et blanc représentant la niche du chien désormais inutilisée de La Ricarda, qu’il est une sorte d’image inversée du film.
De fait, si le film existe et si son tournage a bel et bien eu lieu, l’installation en revanche est construite sur une absence. Pas d’images, pas de réalisateurs, pas d’acteurs, seul le spectateur par son regard peut faire exister la scène, sauf qu’il n’en perçoit que le cadre et la lumière aveuglante. Cette tentative de mise en échec de la figuration témoigne du lieu d’exposition comme d’un espace dont chacun d’entre nous est sans doute tout à la fois aussi bien le maître que le serviteur.
Raya Baudine
Concept : Michel François & Jean-Paul Jacquet
Avec : Ann Veronica Janssens, Angel Vergara, Harald Thys, Jos de Gruyter, Richard Venlet, Loic Vanderstichelen, Simon Siegmann, Pierre Droulers, Jordi Colomer, Joerg Bader, François Curlet, Rosa Barba, Lucia Bru, Michel François
Présentation : La Raffinerie-Charleroi/Danses, Kunstenfestivaldesarts
Production : Multiplicité asbl/Laurence Fagnoul & Michel François
Coproduction : Cimaise et Portique-Centre départemental d'art contemporain asbl, Centre culturel de Malines, Établissement d'en face, Communauté française de Belgique-Service arts plastiques, CGRI, Charleroi/Danses, Cabinet de la Ministre-Présidente de la Communauté française, VAF, Château Gonthier, Michel de Wouters Productions