27 — 29.05.2010

Lia Rodrigues Rio de Janeiro

Pororoca

danse

Kaaitheater

⧖ 1h

Figure incontournable de la danse au Brésil, Lia Rodrigues suit depuis plus de deux décennies une ligne artistique exigeante et engagée. Investie dans un travail avec les habitants des favelas de Rio, elle y a fondé un centre dédié à la formation, la création et la diffusion artistiques. C’est dans cet espace perméable à la vie extérieure que s’est enracinée la création de Pororoca. Le spectacle est parti d’une interrogation sur la notion de communauté: comment fonder ensemble un territoire, provoquer la rencontre, trouver un point d’équilibre dans l’instabilité ? Dans cette chorégraphie d’un engagement physique véhément, née de l’improvisation mais écrite avec précision, onze jeunes danseurs forment un groupe bigarré. Leurs mouvements se déploient avec une sensuelle et frénétique liberté. Pourtant, au-delà des singularités de chacun, ils fusionnent dans un corps collectif en transformation permanente. Une masse organique traversée de courants qui se propagent littéralement jusqu’à l’espace du public. Pororoca, « rugissement » dans la langue des Indiens Tupi, désigne la vague qui vient de l’océan et remonte l’Amazone à contre-courant. Laissez-vous emporter!

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Lia Rodrigues

Née au Brésil, Lia Rodrigues, après une formation de ballet classique à São Paulo, fonde en 1977 le Groupo Andança. Entre 1980 et 1982, elle vient en France et rentre dans la Compagnie Maguy Marin. De retour au Brésil, elle s’installe à Rio de Janeiro où elle fonde sa compagnie, la Lia Rodrigues Companhia de Danças. Ses chorégraphies reçoivent de nombreux prix tant au Brésil qu’à l’étranger. En plus de mettre en scène et de produire tous ses spectacles, Lia Rodrigues crée en 1992 le Festival annuel de Danse contemporaine Panorama Rioarte de Dança qu’elle dirige jusqu’en 2005. Elle a reçu du gouvernement français la médaille de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.

La chorégraphe Lia Rodrigues est une militante dans l’âme, l’esprit et le corps. Pas surprenant que, dans son art, le corps lui-même prenne des allures de manifeste. A la jonction de la performance, des arts plastiques et de la danse, ses spectacles entraînent la familiarité du corps du côté de l’étrangeté.

Stimuler la réflexion, offrir des espaces de rencontre et débat, sensibiliser d’autres personnes aux questions de l’art contemporain, soutenir la formation et l’information, autant d’actions développées par la Compagnie Lia Rodrigues depuis sa fondation en 1990.

Elle mène depuis quelques années une expérience inédite où se côtoient une compagnie professionnelle de danse contemporaine et une institution sociale. En 2003, la compagnie est invitée à collaborer avec le CEASM, Centre d’Études et d’Actions Solidaires de la Maré, association qui depuis huit ans développe un travail socio-pédagogique dans la communauté de Maré, un quartier en plein cœur de Rio de Janeiro constitué de 16 favelas, et où vivent environ 132 000 personnes.

Les projets du CEASM visent à surmonter les conditions de pauvreté et d’exclusion de ce quartier. A Rio, les favelas ne sont pas périphériques, mais se trouvent à l’intérieur, au centre de la ville, entraînant la coexistence d’univers sociaux très distincts. Et malgré cette étroite coexistence, l’isolement de ces mondes est immense. La Compagnie propose ainsi des cours et ateliers aux jeunes de Maré, dans la Casa de Cultura (Maison de la Culture), un grand hangar que le CEASM a reçu en donation et transformé en Centre culturel. Depuis lors, trois de ces jeunes ont été inclus dans les activités de la Compagnie puis, à l’issue d’une période de stage, ont été admis dans son cadre permanent.

En 2004, élargissant ses actions, la compagnie installe ses activités quotidiennes à Maré, en proposant une résidence artistique pionnière, par la création d’un lieu de partage, de convivialité et d’échange de savoirs au sein de la Casa de Cultura. Elle y aménage un espace adapté à la danse professionnelle, qui sert alors non seulement à la Compagnie, mais également à toute la communauté. Depuis août 2007, un nouveau partenariat a été créé entre la Compagnie, l’Association REDES et l’Observatoire des Favelas de Rio de Janeiro, pour la construction d’un nouvel espace de travail, dans un autre quartier de Maré : la favela Nova Holanda. C’est dans cet espace à Nova Holanda, que la compagnie a assuré la création, la production et la présentation du Chantier Poétique à l’automne 2008, ainsi que la création de Pororoca et a étendu ses actions auprès des habitants des favelas, alliant création artistique, production, formation de public et action pédagogique.

Pororoca

Donner lieu

On le rencontre au Brésil lorsque le fleuve Amazone s’approche des eaux salées de l’Atlantique. Devant lui, à perte de vue, l’Amazone a encore quelque deux cents kilomètres à parcourir, au bout desquels un vaste espace s’ouvre à lui, un lit estuarien peu profond où il aurait la possibilité de se développer sereinement, y déposer les alluvions qu’il charrie, les branchages et les troncs d’arbres arrachés en amont qu’il véhicule inlassablement et qui forment de véritables jardins flottants. Puis y envahir de ses eaux laiteuses ce lieu qu’il connaît depuis si longtemps, caresser au passage la ceinture d’îles de son embouchure, comme l’île de Marajo – la plus grande d’entre elles –, l’île de Mexiana ou l’île de Caviana qui n’est seulement, si l’on ose dire, qu’un débris du continent, et y dessiner son delta aussi magistralement que le Nil, le Danube, le Mississippi ou le Gange.

Mais le pororoca est là, invisible la plupart du temps, sauf au moment des grandes marées de l’été. Soudain, en pleine mer, à marée montante, le pororoca, l’autre nom du mascaret de l’Amazone, se forme. Une série d’ondes se propage, plissant à plusieurs reprises et de manière discontinue la surface de l’eau. Deux zones délimitées apparaissent, une zone plane – celle du fleuve – et une zone intermédiaire de turbulence où courants fluviaux et courants maritimes s’opposent et se renversent par paliers. Jusqu’à ce qu’une vague déferlante puissante se dresse, haute de plusieurs mètres, et remonte le fleuve à grande vitesse. Tumultueux et unique, le pororoca ressemble à une « cavalcade de dix mille chevaux », tant il sait se faire entendre avant d’être vu. Lia Rodrigues connaît son rugissement quand il déferle. Qui mieux que lui pouvait mettre de nouveau en mouvement son Chantier poétique ?

Lia Rodrigues n’a de cesse d’interroger la vie au quotidien de la favela de Maré – l’une des plus importantes favelas de Rio de Janeiro – dans laquelle elle enracine le processus de ses créations chorégraphiques. Chantier poétique y défriche un territoire, l’aménage, démolit ou restaure, réparant ce qui est réparable, et met en chantier les fondements d’une nouvelle œuvre naissante, créant et improvisant heure après heure de nouvelles conditions de survie dans un Brésil déchiré par les violences et les inégalités sociales, puis recommençant sans aucune certitude. Faire face. Construire, répond Lia Rodrigues avec détermination, résister, partager, danser. Mais comment fonder et bâtir ensemble un territoire, créer pour exister à tout instant, provoquer la rencontre, être ensemble dans un espace ? Comment survivre dans le chaos, trouver un point d’équilibre dans l’instabilité ? Chantier poétique prend forme. Les gestes – comme les mots – sont justes, posés sans lyrisme, sans fioriture, comme on pose une pierre, l’une après l’autre, précisément là où il n’y a que ruines, gravats et friche.

Après avoir transformé un ancien hangar à bateaux en studio de danse, Lia Rodrigues change de lieu – la favela de Nova Holanda – et d’espace chorégraphique. Le Centro de Artes de Maré, ancré autour d’une trilogie – créer, former les danseurs, diffuser les œuvres d’art – ouvre ses portes il y a un an, tandis que Lia Rodrigues, maître d’œuvre, construit une petite communauté. Comme on construit la communauté de ceux et de celles qui sont sans communauté, affrontant, au lieu d’éviter, la difficulté – voire l’improbabilité – de l’être-en-commun, seuil à partir duquel on commencerait à comprendre ce que signifie « être-avec » et comment l’être.

Orchestrant états de corps et variations d’intensités, Lia Rodrigues écrit Pororoca, une partition musicale pour onze corps-instruments. À la manière du mascaret amazonien, Pororoca envahit radicalement le territoire créé par Chantier Poétique, brasse ses eaux devenues presque tranquilles parce qu’organisées, affouille, soulève, disperse et transporte les sédiments du lit de sa rivière, entraînant l’air dans son rouleau déferlant, provoquant et donnant lieu à un ensemble de nouvelles rencontres. Une autre petite communauté se constitue, s’adapte aux changements, plonge dans cette expérience et remet en chantier le limon de Chantier Poétique, improvisant dans ce nouvel espace intranquille. Les corps fourmillent de notes, de possibilités, entrent en contact les uns avec les autres. Confronté aux bruits de la favela, chacun d’entre eux, portant en lui-même sa propre histoire, écoute ses émotions, traverse différents affects, apprend à se reposer dans l’instabilité, et construit une partition singulière, entièrement tendu vers la construction d’un espace de rencontres à inventer. Rester vivant. Pororoca naît en silence de ces corpstraversés, confrontés à la différence et à la similarité, transpercés par la rencontre avec un autre corps, nomme les multiples façons d’être ensemble et reconfigure simultanément un autre territoire, inscrit dans une fluctuation d’identités. Rencontrer ensemble Pororoca, c’est cela qui nous regarde, nous spectateurs.

Texte écrit par Cécile Faver pour le Centre national de danse contemporaine – Angers, Novembre 2009

Création

Lia Rodrigues

Dansé & créé en collaboration avec

Amália Lima, Allyson Amaral, Ana Paula Kamozaki, Leonardo Nunes, Clarissa Rego, Carolina Campos, Thais Galliac, Volmir Cordeiro, Priscilla Maia, Calixto Neto, Lidia Larangeira

Avec la participation de

Jamil Cardoso, Gabriele Nascimento, Jeane de Lima, Luana Bezerra

Assistant à la chorégraphie

Jamil Cardoso

Dramaturgie

Silvia Soter

Lumières

Nicolas Boudier

Costumes

João Saldanha, Marcelo Braga

Diffusion & production internationale

Thérèse Barbanel / Les Artscéniques

Chargée de production

Colette de Turville

Présentation

Kunstenfestivaldesarts, Kaaitheater

Production

Lia Rodrigues, Assumpçao Producoes Artisticas Ltda (Rio de Janeiro)

Coproduction

Kunstenfestivaldesarts, Centre National de Danse Contemporaine (Angers), Théâtre Le Quai (Angers), Théâtre Jean-Vilar (Vitry-sur-Seine), Théâtre de la Ville (Paris), Festival d’Automne (Paris)

Diffusion

Les Artscéniques (Charenton)

Avec le soutien de

Petrobrás Cultural, REDES de Desenvolvimento da Maré (Rio de Janeiro), Espaço SESC (Rio de Janeiro), Prince Claus Fund for Culture and Development (Amsterdam)

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