12.05, 15.05, 21.05, 28.05.2011
Wael Shawky Alexandrie
Cabaret Crusades: The Horror Show File
cinéma
Arabe → EN | ⧖ 33min | Cinema Arenberg: 12/05 – 21:30 | Cinema Rits: 15/05, 15:00 + 21, 28/05 – 19:00
L’artiste égyptien Wael Shawky a acquis une large reconnaissance internationale avec des installations, vidéos, photographies et performances qui explorent la religion, le politique et les effets de la globalisation culturelle. Cabaret Crusades est un cycle de films dans lesquels il réexamine l’histoire des croisades en faisant rejouer les événements par des marionnettes lâchées dans des champs de bataille en carton-pâte. S’inspirant d’un livre d’Amin Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes, Shawky questionne les motivations socio-économiques de ces « guerres saintes » qui ont irrémédiablement marqué le monde arabe et ses relations avec l’Occident. Chrétiens, musulmans, rois, califes, papes, martyrs et saints : ils sont tous des marionnettes et aucun d’eux ne sait qui tire les ficelles… Petit théâtre filmé dont l’atmosphère surréelle mêle le drame au lyrisme, Cabaret Crusades: The Horror Show File nous invite à naviguer dans les territoires de la vérité, du mythe et du cliché. Une leçon d’histoire, aussi sensible que pénétrante.
Cabaret Crusades: The Horror Show File
Production
Le film est une transposition des causes et effets des campagnes militaires approuvées et soutenues par la religion, sous forme d’images inspirées d’une reconstitution des événements vus par le prisme de ceux qui ont fait face à l’invasion. Shawky donne une description précise des lieux au Moyen-Orient et en Europe qui ont constitué la toile de fond des premières Croisades. Pour ranimer ces épisodes, il se sert de marionnettes très expressives, vieilles de 200 ans, provenant de la collection Lupi à Turin. Elles sont articulées par des fils apparents et revêtues de costumes de personnages ayant servi pendant les conflits dans les armées chrétiennes d’Europe et musulmanes d’Orient. Bien que le sujet s’appuie sur des faits et des documents historiques, il en émerge une atmosphère surréelle et mythique qui marie le drame et le cynisme, racontant une histoire d’événements lointains qui pourraient difficilement être d’une actualité plus brûlante.
La principale source d’inspiration de cette œuvre est le livre d’Amin Maalouf, Les Croisades vues par les Arabes, publié en 1986, bien avant la recrudescence actuelle de la haine.
L’ouvrage de Maalouf, auteur libanais vivant en France, réexamine l’histoire des Croisades en se penchant sur les écrits d’historiens arabes, que l’Occident n’a pour la plupart pas pris en compte, même s’il revient aussi aux sources et études occidentales les plus reconnues. Le tableau historique qu’il brosse est à la fois puissant mais équilibré, politique mais impartial. Cet essai entrouvre une page d’histoire qui a vu se perpétrer les pires cruautés au nom d’un vague sentiment d’humiliation religieuse, mais qui objectivement parlant, étaient plutôt dues à des motifs socio-économiques complexes, en particulier à la misère et au désespoir causés par l’épidémie de peste qui a frappé l’Empire byzantin entre 541 et 543 après J.-C..
Le film de Shawky commence par une scène de l’épidémie de peste, l’une des raisons principales du déclin de la civilisation urbaine dans les territoires de Constantinople. Ces terres étaient toujours sous contrôle de Constantinople et avaient été considérablement affaiblies par la guerre et le déclin économique. Une situation de misère humaine si tragique mène par la suite à des massacres, des batailles, des trahisons et des sièges qui deviendront l’histoire des Croisades.
Habitués comme nous le sommes à considérer les Croisades comme une glorieuse entreprise en vue de libérer Jérusalem au nom de Dieu, nous pourrions être très surpris par les événements qui ont véritablement eu lieu. Il ne s’agissait pas de la libération du Saint Sépulcre, mais de la conquête de terres qui avaient autrefois fait partie de l’Empire romain et sur lesquels l’Église catholique a tenté durant des siècles d’asseoir son pouvoir. Il s’agissait de la conquête de peuples et de ressources économiques pour une Europe qui parvenait à peine à survivre.
Les fils qui servent à tirer les ficelles de l’histoire et à articuler le peuple ont toujours été une forme de manipulation visible. Dans ce contexte, les marionnettes se révèlent le meilleur moyen pour l’artiste égyptien de narrer l’histoire de certaines des années plus sombres et les plus terribles de l’histoire de l’humanité. Des réflexions calmes et sereines sur ces questions pourraient nous aider à méditer nos erreurs du passé, qui ne cesse de se reproduire encore et encore dans un cycle sans fin.
Judith Wielander
Interview de Wael Shawky (extraite de la brochure du Theater der Welt)
En ce qui concerne le débat sur l’hybridité culturelle, où situez-vous votre œuvre ?
Je suis avant tout intéressé par les processus de transition qui jouent un rôle majeur dans la discussion sur les différences culturelles. Je me rapproche de ces débats réels ou illusoires et m’oriente vers une critique plus ludique, moins dramatique des systèmes sociaux d’inclusion et de la transformation de nouvelles idées. Je voudrais expliquer comment la « culture humide » d’une société façonnée par l’agriculture voit la culture « sèche » des Bédouins nomades, et ce, en termes urbains aussi. Cela peut se comparer à la manière dont nous identifions dans le discours académique et artistique des thèmes centraux comme la suppression des droits égaux, le rétrécissement des villes et villages globaux pour favoriser une politique esthétique, qui monte en épingle la « différence » et accentue la diversité de manière exagérée.
Quelle importance accordez-vous à la recherche spécifique au lieu quand vous développez du matériau nouveau ?
Le lieu joue un rôle important dans mes projets, et plus particulièrement par rapport à des sujets qui relèvent de systèmes sociaux hybrides. Je présente en général des documents d’événements fictifs, incluant certaines catégories et structures sociales. L’espace fictionnel par définition fait référence à un événement historique.
Quelles étaient vos principales préoccupations en matière de forme et de contenu ?
Les mécaniques de l’ère du doute nous permettent d’utiliser des concepts sociaux et des héritages culturels plutôt en tant que médias producteurs de l’image poétique qu’en tant que produit fini et consommable. Donc, tant pour le créateur que pour le consommateur, il s’agit de transmission et de transformation de concepts complexes en produits assimilables, situés dans le schéma de consommation quotidienne de la société capitaliste tardive. Ici non plus, la transformation ne célèbre pas d’idéologie spécifique, mais simule le système dominant dans lequel des idées deviennent des produits et la culture, un média. L’objectif n’est pas la création d’un produit fini, définitif – c’est-à-dire des images stéréotypes –, mais la tentative de négocier la culture en tant qu’unité dynamique qui ne se laisse pas juste réduire à des transactions. Cette contradiction détermine l’esthétique ici. [...] Dans sa nature nomade, la communauté bédouine devient, dans une certaine mesure, une métaphore de la mondialisation : les frontières et les espaces s’interpénètrent, et il existe un parallèle entre la nature tribale nomade et l’idée développée par les actionnaires d’intérêts communs en tant que moteur de la mondialisation.
Quels sujets, quels événements culturels et historiques et quelles positions influencent votre œuvre ?
Enfant, j’ai passé plus de dix ans de ma vie à voyager entre La Mecque en Arabie Saoudite et Alexandrie en Égypte. À cette époque, La Mecque commençait à se moderniser et il y avait clairement un conflit entre le nomadisme bédouin et l’ère moderne du capitalisme. C’est alors que j’ai commencé à prendre des photos. Le processus de transition sociale de communautés vivant en autarcie vers l’âge moderne constitue un aspect important de mon œuvre en ce moment. Vivre en tant qu’Égyptien à La Mecque représente aussi un lien avec une phase spécifique de l’histoire de l’Égypte moderne. Elle englobe la période de changements économiques qui faisait partie du nouveau programme de Sadate. Je ne peux pas m’imaginer en dehors de la société, ni en tant que personne, ni en tant qu’artiste préoccupé par le changement social immédiat. J’en fais partie intégrante. Mon œuvre est un média à travers lequel je communique avec et au sein de la société. En ce sens, je peux comparer mon rôle à celui d’un traducteur et cela se reflète dans toutes mes productions.
Écrit & realisé par
Wael Shawky
Producteur/manager
Judith Wielander
Costumes
Mara De Matteis
Photographie & caméra
Fabrizio La Palombara
Montage & corrections colorimétriques
Claudio Cavallari
Scénographie
Wael Shawky/Paola Sommaruga
Fabrication marionnettes
Ebtihal Mostafa/Eitesam Mostafa
Présentation
Kunstenfestivaldesarts, Rits, Écran d’Art (Argos, Beursschouwburg & Cinema Arenberg en collaboration avec La Cambre Academy)
Production
Kunstenfestivaldesarts
Coproduction
Istanbul Biennial

