03 — 05.05.2014

Maria Hassabi Athènes / New York

PREMIERE

danse

Kaaitheater

⧖ 1h15

Familière de la black box théâtrale autant que du white cube muséal, la danseuse et chorégraphe new-yorkaise d’origine chypriote Maria Hassabi développe une œuvre exigeante qui tire sa force de la tension entre le scénique et le plastique, le sujet humain et l’objet artistique. Son nouveau spectacle explore la notion de « première », ce moment fragile de la création qui marque la transition du privé au public, du processus au produit. Les portes s’ouvrent. Cinq danseurs nous font face, immobilisés dans des positions asymétriques entre deux murs de lumières brûlantes. Nous sommes invités à prendre place derrière eux. Durant l’heure à venir, ils déplaceront leur corps avec une lenteur concentrée, morphant leur arrangement initial en une succession de tableaux vivants pour arriver à enfin nous (ré)affronter. Un commencement sans fin. À travers cette dramaturgie minimaliste, dans laquelle la lumière et le son opèrent comme des acteurs à part entière, Hassabi exacerbe l’intensité d’un monde d’événements physiques microscopiques. Magnétique.

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Notes d’une conversation : Premiere de Maria Hassabi

En réponse à une invitation de Maria Hassabi, Kelly Kivland et Scott Lyall ont entamé une conversation ouverte pour comparer leurs notes sur la réception du spectacle Premiere. Le choix d’une conversation comme base pour ce texte paraissait approprié dans la mesure où Premiere est une oeuvre en devenir, qui évolue, change et réapparaît dans de nouveaux lieux pour en présenter la première. Ceci étant dit, dans ces notes, les correspondants ont décidé de ne reproduire qu’un extrait de leur échange. Ce qui suit est donc un passage qui ébauche le lien entre Premiere et le concept philosophique de plasticité (faisant pour cela référence aux écrits de la philosophe française Catherine Malabou). Ces idées ont émergé en premier lieu dans l’approche dramaturgique qu’ont développée Lyall et Hassabi pendant les répétitions de Premiere. À ce moment, ils donnaient corps à une aspiration formelle présente (de manière insistante même) dans la partition chorégraphique. Premiere serait, dès sa création, une oeuvre consacrée à une approche initiale, mobile et hautement flexible, de la forme plastique. Malabou a rétabli, quasi à elle seule, la notion philosophique de plasticité matérielle. La décrivant comme « endormie dans la réception de Hegel », elle la définit comme la forme d’un matériau qui peut changer : modeler et être modelé, se casser et être détruit. Le défi pour la philosophe, et pour bon nombre de ses lecteurs, est d’assembler ces éléments contradictoires en une forme temporelle convaincante. Stricto sensu, le changement plastique n’enregistre pas de traces, est imperceptible dans le présent, et inaccessible à nos esprits. Il constitue une altération immémoriale de la matière, là où l’altération, le devenir autre, concerne la façon dont la matière de nos corps produit la pensée en tant que multiplicité de signes. Selon Hassabi, cela relierait un thème de matérialité plastique au passage toujours décalé d’une chorégraphie à une première.

Kelly Kivland L’une des raisons pour lesquelles cela m’intéresse d’aborder la plasticité est que je considère l’œuvre de Maria au cours des cinq dernières années comme située dans une pratique d’abstraction croissante – qui s’exerce à travers la réduction, la déconstruction et même la sculpture du mouvement. Dans Premiere, son usage de l’abstraction déconstruit et récupère simultanément une dimension formelle, tandis que le mouvement lent et concentré présente le corps comme une force hautement émouvante. Le public a le temps de rester focalisé sur les détails qui se meuvent à chaque moment à travers le spectacle. En cela, l’œuvre évolue dans le temps comme un assemblage, toutefois sa « force émouvante » demeure dans l’attention portée à l’expérience subjective directe. L’infiltration accrue d’images dans nos vies quotidiennes a accéléré notre aptitude à en consumer le sens. En revanche, en ralentissant et décomposant le mouvement, les gestes physiques – ce que je considère comme une manifestation de la forme dans l’image – peuvent être transmis du performeur au public, captés et gardés à l’esprit. Cela permet l’identification, la contemplation, et la résonance. D’autre part, cette expérience de « capter des images » (de la sculpture, du cinéma, de la photographie, ou de l’activité pédestre) est indissociable du flux du mouvement. Maria souligne avec insistance le contraste entre la lenteur de ses poses et la captation d’images d’un film. « Disons que si on met un film en pause, il est en pause », dit-elle. « On ne voit aucune action, aucune respiration. Dans un spectacle en direct, on peut donner l’impression d’être en mode pause, mais ce n’est jamais le cas. Il y a toujours du mouvement (…). » Cette conviction que le changement ne peut jamais être entièrement retenu est une source qui alimente la résonance dont on fait l’expérience dans Premiere.

Scott Lyall En tant que dramaturge, j’ai suggéré Catherine Malabou à Maria parce que j’avais le sentiment que Premiere pouvait fonctionner avec un concept comme la plasticité, qui est elle-même en mouvement, en devenir, en formation. Malabou n’en est qu’au milieu de son travail sur la plasticité et, comme elle le dit, le mot est « dans l’air ». Des questions au sujet de la portée philosophique de ce concept doivent toujours être élaborées et reliées à d’autres mondes ; la valeur intellectuelle pour la danse n’est pas établie. Mais, comme la plasticité est offerte en tant que concept sur la forme, il lui faut aspirer à ce que sa formation fasse sens. Si la forme est également ÊTRE, alors la plasticité implique un mouvement de découverte qui ne sacrifie pas cet ÊTRE, du moins en tant que désir ou présence anticipée (et même si présenter une première n’est pas la même chose qu’être présent – être présent n’est toujours pas possible en tant qu’état d’esprit conscient). Je m’intéresse à tes idées sur la captation d’images. Elles me suggèrent que la danse pourrait être un instrument d’imagerie, une idée dont j’ai discuté à plusieurs reprises avec Maria. Pour moi, cela implique une sorte de plastique sous-jacente soutenant les images qui défilent pendant qu’elles changent et sont perçues. Peut-être que ce qui est en jeu dans une œuvre comme Premiere concerne cette expérience d’un flux de conscience. En regardant, on a l’impression de voir se développer, de façon très lente et très précise, une conscience, qui entre et sort du champ visuel. Quelque chose dans Premiere cherche réellement sa forme. C’est à la fois exprimé (en tant qu’effet du spectacle, distribué et produit parmi des corps individuels) et ressenti (comme une affection entre les membres du public). Bien entendu, l’expression et l’affect suscités, tous deux émouvants et émus, doivent se produire des « deux côtés ». Le flux de pensée se transmet entre le spectacle et le public : Maria relie ce mouvement à un théâtre d’anticipation et c’est précisément ce qu’il faut réitérer, qui doit être « une première », toujours et encore, à chaque représentation de son spectacle. Pendant les répétitions, j’ai pu voir la possibilité qu’a ce spectacle de maîtriser la plasticité comme la genèse d’une forme. Ceci a encouragé une sorte d’identité spéculative de l’œuvre. J’ai cru repérer des équivalences entre Maria et Catherine Malabou, dont les modes d’expression diffèrent, mais qui partagent quelques termes directs. La plasticité de Malabou implique une manière de penser à des images – et de les percevoir – qui a une vitesse de déplacement analogue à celle de Premiere. Ceci n’est ni mécanique ni strictement organique, mais plastique : il s’agit juste du mouvement et de l’image de ce mouvement tels qu’ils s’anticipent, ou prennent forme, sur la scène mobile du spectacle.

KK Il est provocateur de considérer le potentiel d’une forme qui émerge et exerce des effets dans le flux d’images conscientes. Premiere requiert de l’attention pour chaque forme, chaque relation, chaque changement de position et négociation d’espace. C’est peut-être pour cela que la relation entre la durée et le mouvement est si critique : elle permet une pause dans laquelle nous considérons des questions de forme et le potentiel des performeurs, à la fois en tant que figures, compositions, et imagerie.

SL Pour moi, Premiere évolue dans des transitions et des ruptures. Maria dit que son spectacle doit aussi détruire le flux des images. C’est parce que le corps résiste souvent à la chorégraphie. Les jambes ou les bras peuvent trembler, un œil peut se remplir de larmes. (Pour ne pas mentionner la manière dont les mouvements peuvent générer des sons le long du sol.) Ces exemples de destruction doivent faire partie de la forme du spectacle. Mais les images se détruisent aussi parce que l’attention du spectateur ne se fixe jamais sur un point de vue unique de l’ensemble. Le regard n’est pas continu entre les différents individus.

KK Le spectacle est quasi anti-monumental en ce sens qu’il se forme à travers le mouvement et le marquage. Ce terme n’est peut-être pas tout à fait exact, mais il s’adresse à la question de la « politique de la forme » qui prend de l’ampleur par le geste et la primauté du mouvement fluide sur une forme finalement atteinte.

SL Oui. Et pour en revenir à tes idées sur la captation des images, j’ajouterais que notre conscience est elle-même une durée qui fonctionne parce qu’elle monte ces images partiellement captées. C’est en raison de ce montage que nous pouvons faire l’expérience de tout le matériau en mutation permanente qui soutient le champ visuel. Ceci rappelle l’une des leçons cruciales de la déconstruction : présence et conscience ne sont jamais vraiment simultanées. Si plasticité est un mot qui désigne la forme de la matière qui change, alors il y a toujours un fossé entre plasticité et théâtre. La circonstance et la sensation de ce flux ne peuvent être synthétisées, donc il ne peut être « présent » sans image, sans montage. (…) Mais d’autre part, le théâtre est une forme d’anticipation : il est possible que le matériau et la forme se CHEVAUCHENT. C’est la zone où Deleuze aurait situé – non pas la « plasticité » ou une dimension virtuelle, comme il l’appelait –, mais les affects qu’il identifiait aux gros plans dans le cinéma. Ainsi, comme je l’ai senti en travaillant lors des répétitions, Premiere ne pouvait présenter sa première que dans un théâtre d’anticipation, entre le mouvement et le fait que chaque image doit être captée, modelée, mémorisée, dissoute, et – oui ! – parfois même détruite !

Kelly Kivland est assistante-commissaire d’expositions à la Dia Art Foundation, New York. Elle a passé commande de la performance Counter-relief (Bard 2011), une collaboration entre Maria Hassabi et l’artiste Jimmy Robert.

Scott Lyall est un artiste dont la pratique inclut la peinture et la sculpture. Il a travaillé avec Maria Hassabi en tant que dramaturge pour Premiere, ainsi que pour SHOW, SoloShow, Solo et GLORIA.

Performeurs

Biba Bell, Hristoula Harakas, Robert Steijn, Andros Zins-Browne & Maria Hassabi

Création sonore

Alex Waterman

Création lumières

Zack Tinkelman & Maria Hassabi

Concept graphique

threeASFOUR

Dramaturge

Scott Lyall

Assistantes production

Meghan Finn & Kate Ryan

Présentation

Kunstenfestivaldesarts, Kaaitheater

Production

Caravan Production (Bruxelles)

Coproduction

Kunstenfestivaldesarts, Kaaitheater (Bruxelles), The Kitchen, Performa as part of Performa 13 (New York City), steirischer herbst (Graz), Dance4 (Nottingham)

Avec le soutien de

Lower Manhattan Cultural Council’s Extended Life Program.

Soutien financier additionnel de

the MAP Fund, the Jerome Foundation, LMCC Manhattan Community Arts Fund & Mertz Gilmore Foundation’s Late-Stage Production Stipends

PREMIERE a été développé pendant des résidences à

Kaaitheater (Bruxelles), PAF (St Erme) & Mount Tremper Arts (New York)

Projet coproduit par

NXTSTP, avec le soutien du Programme Culture de l’Union Européenne

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