02.06.2021
Dans la performance The Journey, un bateau navigue selon une route GPS établie sur base de données temporelles, historiques et géopolitiques issues de recherches menées par plusieurs experts et communautés dans une zone située en Méditerranée entre l'Italie, Malte, la Tunisie et la Libye. Le récit se construit autour de la décision et des conséquence du largage d'un bloc de marbre de 20 tonnes attribué à l'artiste par le prix Michelangelo à Carrare en Italie. Rossella Biscotti se sert du bloc de marbre comme outil pour dévoiler les implications politiques, économiques et environnementales de ce très complexe ensemble marin. Les points de départ sont d’une part l'île de Malte, un pays situé entre l'Europe et l'Afrique, et d’autre part un ensemble de cartes présentant diverses informations dont l’emplacement des épaves, des câbles, des points de contrôle militaires ou encore des exploitations des compagnies d’énergie et pétrolières, présents sur la route migratoire la plus meurtrière de la Mer méditerranée. Cet acte se déroulera entre le 8 et le 30 mai, en fonction des conditions météorologiques. Ce sera donc la seule performance invisible du festival, faisant ainsi écho à ce qui se passe loin des regards en Méditerranée. En 2022, The Journey sera présenté sous la forme d'une performance acoustique pour dévoiler les politiques de visibilité et d'invisibilité, de l’exploration et exploitation off-shore.
The Journey
En 2010, on m’a donné un bloc de marbre de vingt tonnes de la carrière Michelangelo à Carrare, en Italie. Il y a tout juste un an, le bloc était extrait et transporté jusqu’à la côte pour être chargé à bord d’un bateau. Au bout d’un voyage symbolique de trois jours, pendant lequel le bateau a rallié Malte, la Tunisie et la Lybie, les vingt tonnes de marbre ont été larguées en un point précis de la mer Méditerranée. La route, soigneusement tracée et suivie par GPS, était destinée à mettre en lumière et identifier plusieurs points marquants en Méditerranée : une faille géologique de 1 710 mètres de profondeur, des frontières maritimes arbitraires délimitant des concessions pétrolières et gazières, des zones d’opérations militaires et même la route migratoire d’une tortue marine qui croise celles des patrouilles FRONTEX, l’agence des frontières européennes. Cette performance sans public constituait ma contribution à l’édition du Kunstenfestivaldesarts de l’année dernière.
Au cours de la navigation, je me suis mise à imaginer le bateau comme une oreille capable de capter la réalité à la fois au-dessus et en dessous de la surface de la mer. Une oreille capable de percevoir des fréquences sonores s’étendant jusqu’aux côtes tunisiennes et libyennes, et en mesure de traverser le temps et de connecter différents points par des ondes sonores. La composition sonore à huit canaux présentée ici est issue des captations faites durant ce voyage, en commençant par l’extraction du marbre, puis le passage le long des côtes maltaises et tunisiennes pour finir au beau milieu de la mer. Elle reprend le bourdonnement du moteur, le murmure incessant de la mer, le chant des marins, des pêcheurs, la matrice rythmique unique et les résonances d’antiques amphores. Après avoir réenregistré les signaux d’anciens signaux de détresse maritimes avec une percussion, nous les avons arrangés pour accompagner les paroles de Chamseddine Marzoug, lorsqu’il décrit les dépouilles trouvées en mer ou échouées sur la plage. Nous avions enregistré Chamseddine Marzoug dans le paysage morne et désertique de la décharge où il a enterré tous les corps trouvés. En arrière-plan, une barrière battait au vent, fortuitement au même rythme que les pulsations des signaux de détresse que nous avions enregistrés. Les deux signaux viennent se fondre indistinctement.
The Journey est une amplification de cette dimension d’écoute, d’enregistrement et de composition.
Tous les soirs, plusieurs artistes invité·es pénètrent dans une boîte noire métaphorique, et contribuent à l’environnement sonore par des réflexions, de la poésie, des interventions artistiques. Chacun·e constitue une rencontre qui confère au paysage acoustique immersif une dimension intime : une voix, un enregistrement et une recherche subjective sur les politiques du visible et de l’invisible.
Rossella Biscotti, avril 2022
Sinthujan Varatharajah
L’eau reflète le ciel à sa surface. Mais elle témoigne aussi des terres qui l’entourent, des atrocités qui s’y déroulent, de la violence qui ne s’arrête pas là où la terre se noie. L’eau est le lieu où la violence humaine apprend à couler, à naviguer, à nager et à se noyer, à souiller les plans d’eau de déchets humains. En reliant les différentes histoires des mouvements humains sur l’eau et des mouvements humains de l’eau, Sinthujan Varatharajah explore comment les masses d’eau à travers le monde témoignent de la violence humaine.
Attila Faravelli
Depuis plusieurs années Attila Faravelli s’intéresse aux enregistrements de terrain réalisés en mono avec un enregistreur à bobines Nagra III. Les enregistrements mono aplatissent l’espace, permettant de montrer l’acte d’enregistrement comme étant une série de choix positionnés et relatifs. Dans sa performance pour The Journey, certains des matériaux collectés pour l’installation sont joués dans leur forme originale, de la manière dont ils ont été collectés (c’est-à-dire isolés de leur contexte), avant d’être arrangés dans une composition de plusieurs sons.
Joëlle Sambi
Peut-être que certains corps sont les rouages d’une grande machine. Peut-être que c’est l’usine macabre de l’humanité parcellaire. Peut-être qu’il faut mourir la peau bouffée par le sel de la mer pour se voir accorder une certaine humanité. Peut-être… peut-être que les questions ne suffisent pas. Peut-être qu’on n’arrêtera pas de les poser. Les poser là. Avec ou sans fracas. Aussi ostentatoire qu’un zodiaque orange perdu sur un radar en panne.
Joëlle Sambi est poétesse, autrice et performeuse avec Nicolas Pommier, créateur sonore, elle propose un slam sonore et interroge nos humanités qui s’étiolent au rythme de la politique migratoire inhumaine de l’Europe.
Juan Pablo Pacheco Bejarano
L’aptitude à ressentir la présence d'autrui et du monde à distance correspond aujourd’hui à ce que nous pourrions appeler « télépathie », une expérience que l’Internet a rendue de plus en plus palpable pour l'homme moderne. Mais la technologie numérique est-elle la seule forme de télépathie existante ? Quels autres réseaux, humains et non humains, soutiennent le réseau sensoriel du monde ? La lecture performative when technology becomes a ruin on the ocean par Juan Pablo Pacheco Bejarano proposera une série d’associations spéculatives reliant internet, le colonialisme, les minéraux et l’eau, dans une tentative d’élargir le rôle contraint qui a été réservé à l’océan au long de l’histoire des réseaux d’infrastructure.
Conception sonore de Juan Pablo Pacheco Bejarano et Rodrigo Pacheco Bejarano.
Présentation : Kunstenfestivaldesarts
Sur le navire Diligence : Artiste : Rossella Biscotti | Enregistrement sur terrain : Attila Faravelli | DOP : Cristian Manzutto | Photographe : Alexandra Pace | Curatrice du Blitz : Sara Dolfi Agostini | Equipage marin: Ramon Espiritosantu, Vladimir Daniel Dalit et leur merveilleuse équipe | Cartes SIG : Catalogtree I Responsable de projet : Kristina Borg | Recherche en Tunisie : Emna Lakhoua | Projet développé avec : Blitz Valletta | 8ème édition du Dream City Festival Tunis dans le cadre du projet Between Land and Sea | En collaboration avec : Timmy Gambin (professeur associé d'archéologie maritime, Université de Malte), Anthony Gruppetta (vétérinaire), Aaron Micallef (professeur associé de géosciences, Université de Malte), Alarmphone, Lewis Baldacchino (directeur des opérations, Port Logistics Operations Ltd), Elman Srl (Pomezia), Studi d'Arte Cave Michelangelo Carrara, la communauté des pêcheurs d'El Haouaria, des îles Kerkennah et du golfe de Gabes | Soutenu par le Fonds Mondriaan