13 — 16.05.2021
Juin 1942, peu avant la rafle du Vél d’Hiv en France. Mado a 10 ans ; elle franchit la ligne de démarcation entre la zone occupée et la zone libre avec un groupe d’étrangers, sans ses parents. Elle traverse la frontière de nuit, et prend seule un train pour Vichy, avant d’être accueillie par une famille de paysans d’Auvergne pendant plusieurs années. À partir de l’histoire de Mado, sa grand-mère, Léa Drouet nous transporte dans sa nouvelle création, Violences. Dans celle-ci, plutôt que de représenter la violence directe, l’artiste s’attache à montrer les conditions qui la rendent légitime. Seule sur scène, à l’intérieur d’un bac à sable, elle construit et défait des architectures faites de murs, de paysages, de frontières, à travers lesquelles évolue le récit. Avec une dramaturgie de résonances, l’histoire de Mado rebondit dans des événements récents – comme l’histoire de Mawda, une petite fille kurde de 2 ans abattue par un policier belge en 2018 – qui font écho à ce que peut être la violence contemporaine et ses formes de résistance. Si le sable est généralement ce qui absorbe toutes les traces et efface souvent celles de violence, il est ici aussi porteur de promesses de configurations futures, que Léa Drouet, telle une enfant qui joue, expérimente et présente sous nos yeux.
Violences est diffusé en direct du théâtre tous les soirs, rendant l'enquête accessible au-delà des frontières et des possibilités de voyage.
La performance du 14.05 sera doublée en Langue des Signes de Belgique Francophone (LSBF)
Violences, de Léa Drouet : Exil et chuchotements
Dans Violences, Léa Drouet évoque les tragédies de notre époque avec un subtil langage minimaliste.
Pour Léa Drouet, la scène de théâtre est un espace où inventer des langages pour montrer autrement les tragédies contemporaines. C’est un lieu où les sciences humaines prennent voix et corps à grande distance des idées reçues. Dans Mais dans les lieux du péril croît aussi ce qui sauve (2016), par exemple, elle partage sa récolte de paroles de skateurs, qui disent leur rapport à la blessure et au risque. Elle y questionne aussi la notion de groupe, qu’elle continue d’explorer dans Boundary Games (2018), où la crise des flux migratoires en Europe prend la forme d’une chorégraphie pour six interprètes manipulant des objets rectangulaires.
Créé en septembre dans le cadre du festival Actoral à Marseille, Violences poursuit cette recherche sur les déplacements forcés. Avec la collaboration de la philosophe et dramaturge Camille Louis, Léa Drouet y construit un vocabulaire minimaliste où objets et gestes se mêlent aux mots pour déplacer notre regard. Elle appelle à la naissance d’un témoin nouveau.
Pas d’image d’enfant échoué sur la plage dans Violences. Aucune trace de barque ni de campement. Seulement du sable en guise de paysage, où des cubes et autres formes colorées suggèrent une présence humaine. Éclairée par des projecteurs, Léa Drouet semble immense dans ce décor aux allures trompeuses de cour de récré. Tout de noire vêtue, à la manière d’une marionnettiste qui voudraient faire croire à l’autonomie de ses créatures, l’artiste manipule les matières et les objets avec une lenteur et une précision qui nous emmènent d’emblée loin des représentations dominantes.
On ne peut d’ailleurs pas vraiment parler de “représentation” : au croisement de l’installation, du récit et du geste, Violences reste au seuil de l’image. En déployant en parallèle une expression corporelle et une parole qui entretiennent des rapports complexes, Léa Drouet invite à quitter la passivité dans laquelle nous plongent les flux d’informations pour adopter une approche plus active, plus critique.
Avec un doux ton de conteuse, presque un chuchotement qu’elle entretiendra tout au long du spectacle, Léa Drouet commence par évoquer son rapport personnel au phénomène qui l’intéresse. A l’âge où d’autres s’amusent dans des bacs à sable, raconte-t-elle, sa grand-mère a dû fuir le pays « où elle-même est née mais où elle ne vit pas ». Sans qu’elle soit formulée de manière explicite, la rafle du Vél d’Hiv donne au sable une gravité et une densité qui lui sont inhabituelles. L’artiste poursuit avec un récit qui ne la concerne pas directement. Nourrie par des recherches sur un ensemble de mouvement sociaux – « émeutes de 2005, luttes du comité Adama, gilets jaunes, combats de libération du peuple kurde tel qu’il se mène dans le Rojava », explique-t-elle dans le dossier du spectacle –, la comédienne raconte le meurtre de la petite Mawda par un policier belge en 2018 lors d’une course-poursuite. Une tragédie qui en évoque beaucoup d’autres.
Privée du sensationnalisme souvent associé dans les médias au type de fait qu’elle relate, la parole de Léa Drouet s’inscrit dans une forme de rituel très personnel mais compréhensible par tous. En évoquant des disparitions en toute simplicité, sans en imposer une quelconque lecture, Violences nous invite à nous faire les témoins agissants des catastrophes de notre temps.
Grâce aux espaces qui séparent clairement toutes ses composantes – le geste et la parole, le mot et ce qu’il désigne… –, cette création réussit à créer les conditions pour se faire violence en pensant hors des sentiers battus de la bonne conscience. En mêlant nos petits exils intimes aux grands départs collectifs.
- Anaïs Hélun, Politis, 8 Octobre 2020
Présentation : Kunstenfestivaldesarts-Charleroi danse
Conception, écriture, interprétation : Léa Drouet | Dramaturgie : Camille Louis | Scénographie : Élodie Dauguet | Musique originale : Èlg | Assistante à la mise en scène : Laurie Bellanca | Création lumières : Léonard Cornevin | Régie lumières : Suzanna Bauer | Production, diffusion : France Morin, Cécile Perrichon – Arts Management Agency | Production : Vaisseau | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Nanterre-Amandiers Centre dramatique national, Charleroi danse, La Coop asbl | Avec le soutien de : Actoral – Festival & Bureau d'accompagnement d'artistes, Fédération Wallonie-Bruxelles Service Interdisciplinaire, Wallonie-Bruxelles Théâtre/Danse, Centre Wallonie-Bruxelles Paris, Shelterprod, Taxshelter.be, ING, Tax-Shelter of the Belgian Federal Government, SACD, Institut français | Résidences: Kunstencentrum Buda, Charleroi danse, [e]utopia, La Bellone, Montevideo